Pratiquer une médecine attentive au moment présent…

Pratiquer une médecine attentive au moment présent…

Étudiants et médecins en pratique: Atténuer la détresse, cultiver la résilience par la présence attentive

Par Michel Dongois le 12 juillet 2011 pour L’actualité médicale

Le Dr Hugues Cormier

Pour obtenir leur agrément, les facultés de médecine doivent notamment démontrer qu’elles agissent pour la santé de leurs étudiants. « Or, l’une des façons de promouvoir un équilibre de vie très tôt dans la formation consiste à les inciter à cultiver une présence attentive, ou de pleine conscience. Ça peut aussi s’avérer très utile pour eux, plus tard en clinique », dit le Dr Hugues Cormier1, médecin psychiatre. Entrevue.

Qu’est-ce que la présence attentive ?
Un état de conscience qui résulte du fait de porter attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment2. Une façon d’être bien campé dans l’instant, présent à soi et à autrui, de savoir prendre une pause, apprivoiser le stress, et ainsi cultiver une certaine résilience. Cet état de conscience a des applications en clinique, y compris dès les débuts de la formation médicale.

Quoi dire aux étudiants en médecine ?
Qu’il est vital, dès le début des études, de faire attention à une usure de compassion qui peut notamment résulter d’une certaine culture productiviste, parfois si bien implantée en médecine. Le rythme de vie actuel pressurise les gens, avec des attentes sans cesse plus élevées. Une culture du « toujours plus, toujours plus vite » ne doit pas empêcher médecins et étudiants en médecine de cultiver un certain équilibre de vie.

D’un côté, on observe un accroissement considérable de la masse des données disponibles en médecine; de l’autre, on fait relativement peu encore pour s’occuper de la santé et du bien-être du futur médecin. Notre rôle consiste alors à  inciter les étudiants à prendre soin d’eux-mêmes. Nous faisons le pari qu’ils seront ainsi mieux équipés pour affronter le feu roulant d’une pratique, qu’ils pourront au long cours faire preuve, par exemple, d’une compassion lucide, sans se perdre dans leur profession.

En quoi consiste la présence attentive ?
En de petits exercices simples au quotidien – par exemple, deux à trois minutes par jour avant le repas (voir encadré STOP). Cela peut aider le médecin qui veut prendre soin de lui. Et on peut graduellement en augmenter la « posologie ».

Une hygiène mentale en quelque sorte ?
Oui, une habitude à acquérir, comme celle de se brosser les dents chaque jour. Cette forme d’hygiène de l’esprit et de l’âme a été étudiée et s’est révélée efficace. Plusieurs programmes de médecine en Occident – dont celui de l’Université Rochester – ont déjà intégré cette approche dans leur programme de base. Il s’agit d’un entraînement psychique, d’une saine attention portée à soi. D’une attention portée à son souffle, à son corps – autant aux tensions qu’aux sensations de bien-être –, d’une attention au paysage auditif, au paysage des pensées.

La maîtrise des pensées, n’est-ce pas le plus difficile ?
La pensée, dit-on, est un cheval rétif. On peut apprendre à laisser venir ce qui vient et si l’on perd le fil (soit par anticipation anxieuse, par récrimination ou par simple préoccupation), il ne faut pas s’en faire reproche. Il s’agit de revenir en douceur à l’objet de son attention, dans ce cas-ci les pensées, ou encore revenir au souffle, au corps, aux sons, reconnaître l’émotion collée aux idées, se réconcilier avec ce qui est. Se donner le droit d’être tel qu’on est – en détresse ou en allégresse – ici et maintenant.

Quelles sont les applications concrètes de la présence attentive pour le clinicien ?
D’abord, c’est un cadeau de soi à soi que d’apprendre à souffler un peu, à méditer. Juste décider de prendre quelques secondes de pause avant de faire entrer le patient suivant, ça colore déjà autrement l’ambiance intérieure. Combien de médecins, par exemple, scotomisent leur simple envie d’aller aux toilettes pour passer plus vite à un autre patient …

Cela peut aider le médecin à mieux composer avec des patients qui se trouvent au cœur d’une tourmente dans leur vie, en les sensibilisant à l’importance de cultiver un certain équilibre de vie. Et l’on est plus persuasif quand on met en pratique ce que l’on prêche. Cultiver une présence attentive et attentionnée à chaque instant peut contribuer à atténuer la détresse de tous, de l’étudiant au clinicien en passant par le patient, à cultiver un certain bien-être et une certaine résilience.

Des études sérieuses montrent que la pratique régulière de la présence attentive (ou méditation mindfulness) s’accompagne notamment d’une neuroplasticité accrue et d’une atténuation des marqueurs du vieillissement (télomères).

Est-ce une forme de médecine préventive ?
Oui, une médecine préventive que le médecin ou l’étudiant peut choisir de cultiver lui-même. La présence attentive à soi-même et à autrui permet de redéfinir le paysage du quotidien auquel on est exposé, à sculpter ses instants de vie, moment après moment.

La présence attentive, n’est-ce pas une nouvelle mode, forcément bonne parce que ça vient d’Orient ?
La loi de la gravité est-elle britannique parce que Newton était britannique ? De même, on n’a pas besoin d’être bouddhiste pour bénéficier de certains enseignements de Bouddha ou de maîtres zen. La présence attentive est une approche totalement laïque et a aussi des influences gréco-romaines, chrétiennes, etc.

Certaines applications ont fait leurs preuves, dont la Mindfulness-Based Medical Practice (présence attentive en pratique médicale). La Mindfulness-Based Stress Reduction, mise au point au départ pour des patients en détresse, a ensuite été adaptée pour les infirmières, les médecins, les juges, les sportifs de haut niveau, etc. Je ne dis pas que c’est la panacée, car il existe d’autres moyens d’atténuer la détresse. Cultiver un équilibre de vie compte beaucoup d’autres ingrédients (activité physique, saine nutrition, etc.). Je dis simplement que la pratique d’une présence attentive peut être, pour plusieurs, un ingrédient de premier ordre.

1.    Clinique Saint-Léonard, programme des troubles anxieux et de l’humeur de l’Hôpital Louis-H.-Lafontaine; médecin spécialiste répondant au CSSS Saint-Léonard/Saint-Michel, professeur agrégé et codirecteur, Affaires étudiantes, Vie facultaire, faculté de médecine de l’Université de Montréal. Il anime notamment des ateliers de présence attentive pour prévenir la rechute de patients souffrant de troubles dépressifs.

2.    Jon Kabat-Zinn, 2003.

Lire la suite du dossier «Lorsque le médecin devient patient»


Initiative STOP

S Stop, soit s’arrêter
T Tu portes attention à toi, à chaque inspiration et expiration
O Observe ce qui est : émotion, sensation corporelle ou pensée
P Passe à une action réfléchie, consciente, versus réaction impulsive

 

Commentaires

  1. Roxanne Tétreault dit :

    Super intéressant non seulement pour les étudiants en médecine mais aussi pour une personne comme moi qui essaie d’avoir une santé globale, intégrant un soin particulier à mon bien-être psychologique.

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